La proposition de loi "donnant le droit à une fin de vie libre et choisie", présentée par Olivier Falorni (Libertés et Territoires), a été soutenue par des députés de tous bords. Ce texte vise à créer un droit qui serait accordé aux personnes "majeures, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable" qui en feraient la demande et après des examens médicaux.
C'est un premier pas vers une éventuelle autorisation de l'euthanasie en France. Les députés de la commission des affaires sociales ont adopté, mercredi 31 mars, la proposition de loi "donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie". Ce texte n'en est qu'au tout début de son parcours parlementaire. Il sera examiné en première lecture, jeudi 8 avril, dans l'hémicycle de l'Assemblée, avant d'être transmis au Sénat si les députés confirment le vote qui a eu lieu en commission. Compte tenu du processus législatif, une adoption définitive avant la fin du quinquennat semble aujourd'hui peu probable.
Rédigée par Olivier Falorni (Libertés et Territoires), la proposition de loi vise à ouvrir le droit à une "assistance médicalisée active à mourir" qui consiste en une "prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle-ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin".
Cette technique médicale serait ouverte à "toute personne capable et majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable" provoquant "une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou que la personne juge insupportable".
"Pourquoi refuser à des [personnes malades] le droit de mourir sereinement, de façon apaisée ?", a demandé Olivier Falorni en ouverture des débats. Le député "Libertés et Territoires", qui a déposé sa proposition de loi en octobre 2017, estime que son texte répond à "une très forte attente des Français", puisque, selon "un sondage d'Ipsos", 96% d'entre-eux y sont favorables.
Olivier Falorni pointe "la grande hypocrisie" française dans le domaine, puisque certains patients se tournent vers la Belgique et la Suisse ou ont recours à "l'euthanasie clandestine" dans l'Hexagone : "Selon une étude de l'institut national d'études démographiques, il y en aurait entre 2.000 et 4.000 par an."
L'"assistance médicalisée active à mourir" serait strictement encadrée : elle serait réalisée après une vérification du consentement de la personne malade et de "l'impasse thérapeutique" dans laquelle elle se trouve.
Ces données seraient évaluées par le médecin traitant ainsi que par deux autres praticiens, choisis par ce même médecin traitant : un de ces deux praticiens devant être un spécialiste de la pathologie dont souffre le patient. Ce dernier ayant la possiblité de faire appel "à tout autre membre du corps médical susceptible d’apporter des informations complémentaires". Les députés ont voté une clause de conscience pour les médecins qui ne souhaiteraient pas participer au processus.
Quatre jours après l'évaluation, qui donnera lieu à un rapport, le patient devra donner une deuxième fois son consentement, en présence d'une "personne de confiance". Une décision révocable à tout moment.
Un jour plus tard, l'"assistance médicalisée active à mourir" pourra avoir lieu, notamment au domicile de la personne. Quatre jours après le décès, le médecin ayant accepté "d'apporter l'assistance" devra adresser un rapport à la "commission nationale de contrôle et d’évaluation" créée par le texte. En cas de non-respect de la loi, cette commission pourra saisir le procureur de la République.
Une personne qui se "trouve de manière définitive dans l’incapacité d’exprimer une demande libre et éclairée" pourra elle aussi bénéficier d'une "assistance médicalisée active à mourir", si elle en avait fait la demande au préalable : sa volonté devra être rapportée par ses directives anticipées ou par sa personne de confiance.
La majorité disposait d'une liberté de vote sur un sujet "éthique et social qui ne fait pas consensus", selon les mots de Christine Cloarec-Le Nabour (La République en marche).
"Evidemment, la règle sera la liberté de vote", avait lui aussi commenté en début de séance le président du groupe "MoDem" Patrick Mignola. La même règle était en vigueur du côté des élus communistes, des élus "Les Républicains" ou encore du groupe "UDI et indépendants".
Des députés de tous horizons ont défendu le texte, comme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), qui a salué une "loi de liberté et d'humanité, [qui] ne retire rien à personne". La "très large majorité" du groupe Socialiste a soutenu le texte, Marie-Noëlle Battistel saluant un "consensus social et transpartisan". "Le 1er février 2018, lors de notre première niche parlementaire, nous avions porté [un texte similaire]", a rappelé Caroline Fiat (La France insoumise) : "A l'époque, les députés de la majorité nous avaient expliqué qu'il était très bien, mais que c'était beaucoup trop tôt."
Mercredi, la proposition de loi a notamment été défendue par Monique Iborra (LaREM), Philippe Vigier (MoDem) mais aussi Stéphane Viry, (Les Républicains), Isabelle Valentin (LR), Maxime Minot (LR), Adrien Quatennens (LFI) ou encore Guillaume Chiche (non inscrit). "Pensez-vous qu'un seul malade demande à recourir à l'aide active à mourir de gaieté de coeur ?", a de son côté demandé Marine Brenier (LR), qui a parlé d'une "opportunité historique".
Signe du large soutien dont dispose le texte d'Olivier Falorni, l'amendement qui inscrit dans le titre de la proposition de loi la "garantie" du droit à une fin de vie libre et choisie a été signé par 225 députés.
Du côté des opposants au texte, le rapporteur général du projet de loi de financement de la Sécurité sociale Thomas Mesnier (La République en marche) a, tout comme son collègue Marc Delatte, jugé la proposition de loi contraire au serment d'Hippocrate.
D'autres, comme Caroline Janvier (La République en marche), ont estimé qu'un sujet de cette dimension devait a minima être étudié dans le cadre d'un projet de loi rédigé par le gouvernement. Didier Martin (La République en marche), qui partage la même position que sa collègue, a par ailleurs jugé que "demander la mort parce qu'on souffre n'est pas un choix libre".
Les opposants ont surtout plaidé pour une meilleure application de la loi Claeys-Leonetti, qui a développé en France les soins palliatifs. C'est notamment le cas de Thomas Mesnier, qui a salué "l'équilibre absolument remarquable" de cette loi de 2016 qui permet une "sédation profonde et continue" des personnes en fin de vie.
"L'urgence est de donner les moyens à la loi d'être appliquée", a ajouté le député, qui a expliqué que "le ministre de la Santé et des Solidarités a exprimé devant le Sénat la volonté de porter des crédits supplémentaires dans le prochain PLFSS".
"La culture palliative reste à développer en France", a abondé Bernard Perrut (Les Républicains). "On estime que seulement entre 20 et 30% des personnes qui pourraient avoir recours aux soins palliatifs y ont effectivement accès", a ajouté Emmanuelle Ménard (non inscrite). Michèle de Vaucouleurs (MoDem) a elle aussi défendu la loi Claeys-Leonetti : "Ce texte, si les moyens lui étaient donnés, permettrait de régler 99% des situations de fin de vie."
Ces arguments n'ont pas convaincu. Olivier Falorni a pointé les "failles et insuffisances majeures" des lois Leonetti de 2005 et Claeys-Leonetti de 2016 : "La sédation profonde et continue jusqu'au décès pose question [car] dès lors que vous arrêtez la nutrition et l'hydratation du patient et que cette situation peut durer plusieurs jours voire plusieurs semaines, peut-on considérer cela comme humainement tolérable ?"
En plus de regretter des interprétations différentes des textes par les équipes soignantes, Olivier Falorni a mis en cause des "moyens humains et financiers" qui "n'ont jamais été à la hauteur de l'ambition affichée". Ainsi, "un quart des départements ne compte aucune unité de soins palliatifs". "48% des lits de soins palliatifs sont en Ile-de-France" a ajouté Philippe Vigier (MoDem).
Les députés ont tenté de répondre à cette inégalité territoriale : ils ont adopté un amendement visant à "réaffirmer dans la loi que chaque personne a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement, sur l’ensemble du territoire, quand son état de santé le requiert".
Les députés ont par ailleurs adopté un amendement "Vincent Lambert" visant à régler la question des "patients incapables d’exprimer leur volonté, lorsqu’il est envisagé de limiter ou d’arrêter leurs traitements, ce qui est susceptible d'entraîner leur décès". En cas d'absence de directives anticipées ou de "personne de confiance", le médecin se tourne en effet vers la famille du malade.
L'amendement voté mercredi soir crée une hiérarchie entre les proches du patient : le médecin devra recueillir en premier lieu le témoignage de l'époux, du concubin ou du partenaire lié par un Pacs. A défaut, il devra recueillir celui des enfants majeurs. Ensuite, le témoignage sollicité sera celui des parents. Enfin, les frères et soeurs majeurs seront interrogés.
Selon Jean-Louis Touraine (La République en marche), l'affaire Vincent Lambert a montré "qu'il fallait doter notre arsenal législatif d'une meilleure modalité que de simplement dire 'on consulte la famille'." Le but est, selon l'élu, d'éviter les conflits familaux autour du sort d'une personne et de limiter l'influence des parents qui "peuvent avoir la tentation de substituer leur propre volonté à celle de leur enfant adulte".