Marc Ferracci (Renaissance) et Jérôme Guedj (Socialistes) préconisent de supprimer l'allègement de cotisations sociales patronales sur les rémunérations comprises entre 2,5 et 3,5 Smic, jugeant la mesure peu efficace pour favoriser l'emploi. Il s'agit de la principale proposition de leur rapport, rédigé à l'issue d'une mission d'évaluation sur l'efficacité des exonérations de cotisations sociales, qui sera examiné en commission mercredi 27 septembre.
Les exonérations de cotisations sociales sont-elles efficaces pour l'emploi et la compétitivité des entreprises ? C'est la question à laquelle ont tenté de répondre Marc Ferracci (Renaissance) et Jérôme Guedj (Socialistes). Les deux députés ont été chargés par la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) de l’Assemblée nationale de travailler plus spécifiquement sur ce champ, depuis le mois de juin. Leur rapport sera examiné mercredi 20 septembre par leurs collègues de la MECSS.
Ces allègements de charges dont bénéficient les entreprises avaient été initialement conçus dans les années 90 pour lutter contre le chômage de masse. Depuis, leur périmètre s'est largement étendu, devenant un "instrument incontournable de la politique en faveur de l’emploi", constatent les deux rapporteurs, pointant un "emballement". Trois principales exonérations sont recensées : la réduction générale sur les salaires compris entre 0 et 1,6 Smic, dit "allègement Fillon" ; la réduction sur les cotisations maladie, pour les salaires entre 0 et 2,5 Smic, dit "bandeau maladie" ; et la réduction sur les cotisations familiales, pour les salaires entre 0 et 3,5 Smic, dit "bandeau famille".
Fatalement, le coût de ces dispositifs a également explosé : les allègements sur les salaires inférieurs à 3,5 Smic sont ainsi passés de 1,1 point du PIB en 2004, à 2,8 points en 2022. Ce qui représente près de 80 milliards d'euros. "Ces chiffres ne sont pas, en soi, problématiques, dès lors que les exonérations permettent de créer ou de maintenir l’emploi", estime Marc Ferracci dans son avant-propos au rapport.
"Le problème à résoudre n’est plus l’hypertrophie des 'charges' mais le coût vertigineux des baisses des cotisations dont, pour une part significative d’entre elles, l’efficacité économique est très incertaine, voire totalement nulle", complète Jérôme Guedj dans son avant-propos, évoquant des allégements "insuffisamment ciblés" et à l'efficacité incertaine. De fait, les deux députés - l'un de la majorité, l'autre de l'opposition - font un diagnostic assez partagé, sans s'accorder sur toutes les solutions.
Le principal constat partagé concerne l'efficacité des exonérations en fonction du niveau de salaire : plus ce dernier est élevé, moins la mesure semble efficace. "Alléger le coût du travail sur les plus hauts salaires ne permet pas de soutenir efficacement l’emploi, ni la compétitivité des entreprises", tranche Marc Ferracci. "Plus une exonération concerne un niveau de rémunération proche du Smic, plus elle est susceptible d'avoir des effets bénéfiques sur l'emploi", appuie Jérôme Guedj. Selon les rapporteurs, à niveau de salaire élevé, les exonérations sont largement captés par les salariés via des augmentations de salaires, sans effet sur l'emploi ou la compétitivité des entreprises.
En conséquence, ils proposent de revenir sur une partie du "bandeau famille", en supprimant la réduction du taux d'allocations familiales pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic, ce qui rapporterait près d'1,6 milliard d'euros à l’Etat. Dans cette tranche, l'exonération profite de surcroît davantage aux grandes entreprises, et notamment dans des secteurs d'activité particulièrement exposés à la concurrence, observent-ils.
Le député Renaissance se démarque cependant de son collègue du groupe Socialistes, en proposant de compenser la suppression du dispositif par une baisse des prélèvements sur les entreprises, en renforçant les exonérations sur les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic, ou en baissant davantage, ou plus rapidement, les impôts de production. Marc Ferracci avait déjà défendu le resserrement des allègements de charges, dans le cadre d'un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 ; mais sa proposition n'avait pas été retenue. À l'inverse, Jérôme Guedj émet un doute sur l'efficacité des exonérations sociales portant sur les salaires situés au-delà de 1,6 Smic.
Dans leur rapport, l'élu de la majorité et l'élu de gauche s'attardent également sur un reproche qui est régulièrement fait aux allègements de charges : la tentation qui serait donnée aux employeurs de limiter les salaires afin de bénéficier des allègements généraux - jusqu'à 1,6 Smic - et du bandeau maladie - jusqu'à 2,5 Smic. Et qui ferait des exonérations des "trappes à bas salaires". Toutefois, aucune étude empirique ne semble accréditer cette théorie, concluent les députés, qui appellent à mener des travaux plus approfondis sur le sujet.
Les deux députés se sont également penchés sur le conditionnement des allègements de charges à certains objectifs sociaux, et notamment la conformité des minima de branches au niveau du Smic. Au 31 août 2023, 13 branches étaient en situation de non-conformité depuis plus d'un an.
Toutefois, cette proposition, qui s'inscrit dans un contexte de revalorisation fréquente du Smic, se heurte à des "écueils importants", pointent les co-rapporteurs, qui soulignent un risque d'inconstitutionnalité, une mise en place complexe et de potentiels effets indésirables pesant sur les négociations.
Dans son avant-propos, Marc Ferracci craint même une "usine à gaz" et mettant en avant de nombreux "obstacles juridiques et opérationnels", tandis que Jérôme Guedj se montre plus enclin à conditionner les allègements à des contreparties sociales ou environnementales de la part des entreprises, telles qu'une revalorisation des salaires ou des critères environnementaux.
Dernier axe du rapport : l'intérêt de pratiquer des exonérations plus importantes pour les salariés seniors, afin de favoriser leur employabilité, et ce au vu de "la situation inquiétante de l’emploi des seniors en France". Cette idée laisse toutefois sceptiques les députés, qui identifient plusieurs risques quant à son application.
Là encore, un risque d'inconstitutionnalité, sur le fondement du principe d'égalité. Mais aussi un risque d'effet d'aubaine, qui pourrait pousser certaines entreprises à se séparer d'un salarié avant de le reprendre, afin de bénéficier des exonérations sans participer à la création d'emploi. Enfin, ils redoutent un mauvais calibrage de la mesure - quelles cotisations cibler et à quel niveau ? - et son inefficacité. "Cette mesure n’aurait sans doute un effet bénéfique que pour une petite partie des salariés expérimentés et probablement pas pour ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi", estiment-ils.