L'Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi relatif "à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement", dans la nuit du mercredi 2 au jeudi 3 juin. Le texte pérennise certaines mesures de police administrative et l'utilisation de techniques de renseignement.
Cheminer sur l'étroite ligne de crête entre instruments efficaces de lutte antiterroriste et de renseignement d'une part et respect des libertés fondamentales d'autre part. Cette recherche d'équilibre aura été le mantra de la majorité et de l'exécutif lors de l'examen du projet de loi "relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement", adopté par les députés en première lecture. Un mantra qui a été brandi pour écarter les propositions issues de la gauche de l'hémicycle, encline à limiter la portée des dispositions administratives, comme de la droite, qui souhaitait durcir les mesures du texte, au risque de l'inconstitutionnalité.
Au préalable, les députés ont écarté une motion de rejet déposée par La France insoumise. À la tribune, Ugo Bernalicis a alerté sur l'accroissement du pouvoir administratif au détriment du pouvoir judiciaire, qui menace selon lui "l'État de droit" depuis plusieurs années, ou sur le suivi des sortants de prison condamnés pour terrorisme, qui pourrait s'apparenter à une double peine. "Qu'est-ce que vous voulez, à la France insoumise ? Qu'un terroriste encore dangereux puisse sortir et ne pas être suivi du tout ?", s'est agacé Éric Dupond-Moretti. "C'est scandaleux. Vous vous drapez dans les oripeaux de la liberté, pour ne rien nous proposer, a ajouté le garde des Sceaux. Le nihilisme, Monsieur Bernalicis, c'est insupportable."
Le projet de loi comporte deux grands volets distincts. Le premier d'entre eux consiste à valider une expérimentation introduite par la loi dite "Silt" du 30 octobre 2017. Ce texte avait permis la sortie de l'état d'urgence décrété suite aux attentats de novembre 2015, tout en transposant une partie de ses instruments dans le droit commun pour faire face au niveau toujours élevé de la menace. Le Parlement avait toutefois décidé de conditionner cette évolution par une clause de revoyure, afin de se prononcer avec du recul sur leur utilité et leur proportionnalité.
Fermeture administrative de lieux de culte, périmètres de protection, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (les "Micas") et "visites domiciliaires" (l'équivalent des perquisitions administratives) figureront donc pour de bon dans l'arsenal antiterroriste après promulgation de la loi, avec quelques modifications. Le gouvernement a fait valoir "leur grande utilité opérationnelle" pour justifier leur maintien.
Dans l'hémicycle, le débat a surtout porté sur les Micas et sur leur utilisation qui est faite pour surveiller les sortants de prison. Ainsi, les députés ont validé l'extension de leur durée maximale d'application, portée à 24 mois pour les terroristes condamnés à au moins cinq ans de prison (trois en cas de récidive).
Autre mesure portée par le texte : la création d'une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion. Il s'agit là de tirer les conséquences de la large censure de la loi du 10 août 2020 par le Conseil constitutionnel. Le texte porté par la présidente de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet (LaREM), prévoyait l'instauration de mesures de sûreté pour les sortants de prison condamnés pour terrorisme.
Cette nouvelle mesure est destinée à renforcer le suivi des sortants de prison qui présentent encore un niveau de dangerosité élevé, qui pourront être assujetties à des obligations destinées à faciliter leur réinsertion et à prévenir une quelconque récidive. Échaudé par la censure des "Sages" de la rue de Montpensier, l'exécutif a bordé cette mesure de plusieurs garde-fous : elle devra être prononcée par le tribunal de l’application des peines, et ne pourra excéder cinq ans au maximum.
Les députés ont en revanche écarté un amendement d'Éric Ciotti, qui proposait d'appliquer aux terroristes sortants de prison les plus dangereux le régime de rétention de sûreté, c'est-à-dire de les maintenir en détention à l'issue de leur peine. Le ministre de la Justice y a vu un "Guantánamo à la française", et a dénoncé la "surenchère" provenant du groupe Les Républicains.
Second volet du projet de loi, le renseignement bénéficie de moyens de contrôle élargis. Le texte grave dans le marbre de la loi la surveillance des réseaux par la technique dite de l'algorithme, expérimentée depuis 2017 grâce à une loi votée lors du quinquennat de François Hollande. Cette méthode permet un traitement automatisé des données de connexion et de navigation sur Internet, via la coopération des fournisseurs d'accès. L'article 13 permet d'élargir la surveillance aux adresses de connexion ("URL" en anglais), ce qui permettra une meilleure détection des profils à risque selon le ministre de l'Intérieur :
Surveillance des adresses Internet ("URL") consultées : "Aujourd'hui, quelqu'un qui dans la matinée aurait consulté des dizaines de fois des vidéos de décapitation d'un terroriste islamiste ne serait pas repéré par les services de renseignement", justifie @GDarmanin. #DirectAN pic.twitter.com/vGbfpBiItb
— LCP (@LCP) June 1, 2021
Bien que soumis au contrôle de la Commission de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) où siègent 2 députés et 2 sénateurs, la surveillance par algorithmes est qualifiée de "boîte noire" par ses détracteurs pour dénoncer l'opacité de son fonctionnement. Dans l'hémicycle, un dialogue de sourds a opposé Ugo Bernalicis, qui réclamait des précisions sur cet outil et ses éventuels failles et le rapporteur Loïc Kervan (Agir ensemble). "Je ne vais pas vous donner le mode d'emploi pour contourner le dispositif", a-t-il répondu à l'élu de La France insoumise.
La proposition de ce dernier d'élargir la composition de la CNCTR et de la délégation parlementaire au renseignement (où des informations classifiées sont partagées) à tous les groupes politiques du Parlement a été rejetée. "Il y a un véritable contrôle démocratique de la CNCTR par les parlementaires et par les magistrats", a voulu rassurer Constance Le Grip (LR), qui siège dans cette autorité administrative.
Au banc, la ministre des Armées, Florence Parly, a précisé que "l'algorithme ne fait pas de surveillance de contenu" et que sa gestion n'était pas confiée à l'entreprise américaine Palantir Technologies qui opère par ailleurs avec la CIA.
Le Sénat doit désormais examiner le projet de loi en vue d'une adoption définitive prévue par le gouvernement avant la fin de la session parlementaire cet été.