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Les sentinelles de l'oubli
Mélisande Films

Les sentinelles de l'oubli-débatdoc lundi 20 mai à 20h30

Les monuments aux morts de 1914-1918 nous sont devenus tellement familiers quon ne les voit plus. C'est un musée invisible qui a fini par se confondre avec les paysages de France. Et puis un beau jour, une sculpture arrête le regard, ici un soldat monte à l'assaut, ailleurs une jeune femme pleure dans un champ devant un casque... une autre histoire apparait.

C’est le projet artistique le plus ample peut-être depuis les cathédrales, un grand chantier qui va s’étendre des années 20 aux années 30.

Les morceaux d'un récit en trois dimensions semblent avoir été dispersés à travers tout le pays, comme des rushes d'un film mis en scène dans la pierre, au moment même où le cinéma muet est en train de devenir cinéma parlant. Les plus étonnantes de ces statues nous font entrer dans un monde parallèle, là où continuent à vivre les fantômes de la Grande Guerre.

  • Réalisé par : Jérôme Prieur 
  • Produit par : Sophie Faudel
  • Musique originale de Marc-Olivier Dupin
  • Voix de Nathalie Boutefeu et d’Emmanuel Salinger
  • Durée : 62' / Année : 2023
  • Coproduction : Mélisande Films / LCP-Assemblée nationale 

"Les sentinelles de l'oubli", dans sa version cinéma d'1h25, est sélectionné pour le 33ème festival international du film d'histoire de Pessac 2023.

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  • Diffusions : 
  • Lundi 20 mai à 20h30
  • Dimanche 26 mai à 17h30
  • Lundi 27 mai à 00h30
  • Et en replay sur LCP.FR et la chaîne YouTube

SUIVI D'UN DÉBAT PRÉSENTÉ PAR JEAN-PIERRE GRATIEN 

Sur le thème "Guerre 14-18 : les sentinelles d'une boucherie" avec : 

      • Annette Becker, historienne, professeure émérite à l'Université de Paris-Ouest Nanterre La Défense
      • Jérôme Prieur, réalisateur du documentaire
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      Les sentinelles de l'oubli

      Entretien avec le réalisateur, Jérôme Prieur 

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      Jérôme Prieur-copyright Sybille Mazot
      Jérôme Prieur © Sibylle Mazot

      D’où vient l’idée de ce film, Les sentinelles de l’oubli ?

      Enfant, je ramassais dans les greniers ou chez les brocanteurs les reliques de l’artisanat des tranchées, bagues, cendriers, bijoux de pacotille que les soldats fabriquaient avec le métal des munitions récupérées sur les champs de bataille. Je peignais minutieusement les figurines de soldats que l’on trouvait en achetant des paquets de café, je me suis même mis à collectionner les médailles et les décorations... Sans le savoir j’étais un chiffonnier de la guerre de 14. La vie des poilus, des frères ainés à peine plus âgés que moi quand la guerre leur tombée dessus, me fascinait, sidéré que j’étais au fond par ces quelques centaines de milliers de Robinson Crusoé vivant au jour le jour si près de la mort, sidéré par ces bricoleurs s’adaptant à l’horreur, sidéré par ces hommes qui avaient dû s’enterrer dans les tranchées pour survivre. Cela m’a donné envie de savoir ce qui ne se dit pas. La vie et la mort ensemble. Des années et des années plus tard je me suis résolu à raconter ce que j’appelle « mes souvenirs de la guerre de 14 » dans un livre : La Moustache du soldat inconnu (Éditions du Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 2018)

      Pourquoi s’intéresser maintenant aux monuments aux morts ?

      Les monuments aux morts sont quasiment les derniers témoins matériels, les derniers vestiges de cette Grande Guerre. Elle a bien eu lieu. Ces œuvres ne seront jamais muséifées, jamais archivées, elles sont exposées à ciel ouvert, patinées par le temps. Leur histoire a été évoquée par quelques historiens, elle a été l’objet de campagnes photographiques, mais elle n’a jamais inspiré de films alors que ces témoins silencieux sont bel et bien là devant nous, précis, troublants, du moins pour quelques centaines d’entre eux. A travers eux, des histoires peuvent encore se raconter un siècle plus tard. Beaucoup d’entre eux sont de grandes œuvres.

      Quelle a été la fonction de ces monuments ?

      Les monuments aux morts ont fait entrer la guerre dans la paix : dans chaque village, s’est installée une religion civique, le culte de la Nation allant de pair avec la mise en scène du roman national. Il fallait fabriquer des héros de pierre pour une société de survivants. Il fallait enterrer la guerre. Inventer des lieux de fixation pour rendre le deuil possible, tout en rendant hommage à tous les soldats, les morts comme les vivants (qui sont près de la moitié du corps électoral après guerre). À travers toute la France chaque monument aux morts a construit ce récit, qui a cherché à annihiler la différence irréductible entre les morts ensevelis et les autres dont les restes ne sont nulle part, car il y a entre 300 et 500 000 soldats inconnus qui n’ont pas de tombes…

      Que vous inspire cette statuaire ? 

      Depuis des années je regarde les monuments aux morts partout où je vais. Je suis souvent frappé par la puissance documentaire ou par la force fantastique de ces images en trois dimensions, je vois dans les statues des morceaux de récits, je devine à travers ces acteurs immobiles toute une matière à ressusciter.  Cela nous a demandé d’abord avec Renaud Personnaz, le chef opérateur, un travail très subtil de prises de vue pour arracher d’une certaine manière les sculptures à leur environnement immédiat, au décor actuel, pour entrer dans la pierre et la fonte, pour concentrer le regard essentiellement sur ces corps sculptés.

      Qu’ont fait les sculpteurs ? 

      L’immédiat après-guerre doit faire face au traumatisme qui touche de près ou de loin la quasi-totalité des familles françaises. Le « théâtre des opérations » reste largement inimaginable pour ceux qui ne l’avaient pas fréquenté. Le travail des sculpteurs a consisté à remplir ce vide.

      Il y a des entreprises funéraires qui produisent des statues en série. On peut les choisir sur catalogues, et elles ont l’avantage de pouvoir être livrées assez rapidement. Mais l’inconvénient c’est qu’elles ne permettent pas à la commune qui les commande de se distinguer, de faire preuve d’originalité. Alors, comme tout se décide à l’échelon de la commune (avec les discussions que l’on peut imaginer, la concurrence que l’on suppose entre les entreprises petites et grandes, entre tous les artisans qui s’intéressent au chantier), des sculpteurs de la région répondent à des concours. Mais certaines villes préfèrent faire appel à des artistes reconnus comme Paul Landowski, Maxime Real Del Sarte, Félix Desruelles, Paul Dardé, Gaston Broquet que j’admire particulièrement.

      En dehors des œuvres patriotiques qui veulent avant tout magnifier la rhétorique de la victoire, ces sculptures recherchent à rendre visible ce qui n’était pas racontable ou pas supportable : la guerre, l’attente, la souffrance, l’épuisement, l’endurance… D’autres monuments prennent en charge la douleur des proches, ils mettent en scène les funérailles qui n’ont jamais eu lieu. Les femmes et les enfants y assistent contrairement à ce qui s’est passé en réalité.

      Pourquoi en faire un film ?

      Il s‘agit de raconter l’histoire de ce chantier mais surtout, pour paraphraser Alain Resnais,  je dirais que les statues ne meurent pas. Ce sont des images et des scènes qui nous relient au passé, d’autant plus qu’on croit ne pas les avoir remarquées. Ces monuments contiennent pour moi comme un noyau radioactif. Ils nous prouvent que les morts peuvent être encore vivants. Pour cela, il faut jouer avec l’imaginaire du spectateur, avec ses émotions, avec sa mémoire, avec son imagination. C’est le défi du cinéma de réveiller ce monde endormi, de permettre d’explorer d’autres vies que la nôtre.